Légalement parlant
Suspension administrative et disciplinaire en droit du travail et distinction avec les pouvoirs de suspension et de révocation d’un bureau coordonnateur
Mise en contexte
Dans le réseau des services de garde à la petite enfance, la notion de suspension est employée dans plusieurs contextes et peut souvent prêter à confusion chez les intervenants sur le terrain. Dans les centres de la petite enfance (CPE), une suspension peut être imposée par l’employeur dans le cadre de la relation d’emploi, soit à titre de sanction disciplinaire, soit comme mesure administrative à caractère préventif. De leur côté, les bureaux coordonnateurs (BC) disposent aussi d’un pouvoir de suspension, mais celui-ci n’a aucun caractère disciplinaire. Il est strictement administratif et découle d’exigences légales et réglementaires liées à leur rôle de surveillance et d’encadrement de la qualité des services offerts par les responsables de services de garde éducatifs en milieu familial (RSGE). Le présent article vise à démystifier ces notions et à clarifier les distinctions essentielles entre elles.
La suspension disciplinaire en CPE
La suspension disciplinaire est une mesure imposée par l’employeur pour sanctionner une faute commise par un salarié. Elle découle du pouvoir de gestion de l’employeur, et s’inscrit dans le régime du droit du travail et, en contexte syndiqué, dans les conventions collectives. Il s’agit d’une mesure punitive visant à corriger un comportement jugé fautif, par exemple un manquement aux règles internes, une insubordination, une négligence ou encore un comportement portant atteinte à la confiance de l’employeur. Contrairement à la suspension administrative, elle est généralement imposée sans rémunération, ce qui en accentue le caractère punitif.
Pour être valide, la suspension disciplinaire doit respecter les principes de proportionnalité et de progression des sanctions, sauf en cas de faute grave justifiant une intervention immédiate. Elle constitue une étape intermédiaire dans la gradation des mesures disciplinaires, se situant entre l’avertissement écrit et, dans les cas les plus sérieux ou répétés, le congédiement. Sa durée est normalement limitée à quelques jours ou semaines, et doit demeurer proportionnelle à la gravité de la faute reprochée.
Comme toute sanction disciplinaire, elle peut être contestée devant un arbitre de grief. Afin de réduire le risque de contestation, l’employeur doit constituer un dossier démontrant l’échec de sanctions progressives antérieures, ou établir l’existence d’un manquement suffisamment sérieux pour justifier le recours immédiat à la suspension. La crédibilité de cette démarche repose sur la constance, la transparence et la documentation des mesures disciplinaires, afin que la suspension apparaisse comme une réponse juste et proportionnée plutôt que comme une décision arbitraire.
La suspension administrative en CPE
La suspension administrative est d’une toute autre nature. Elle ne vise pas à sanctionner une faute, mais plutôt à protéger le milieu de travail ou à permettre à l’employeur de faire de la lumière sur une situation. Elle peut être utilisée lorsque la présence du salarié est jugée problématique, par exemple lorsqu’une enquête est en cours, qu’un doute sérieux existe quant à sa capacité d’exercer ses fonctions de façon sécuritaire, qu’un événement externe doit être clarifié, ou encore lorsqu’il faut vérifier des allégations, qu’elles soient de nature criminelle, comme une infraction grave, ou non criminelle, comme du vol de temps, du harcèlement ou un bris de confiance. Comme il ne s’agit pas d’une sanction, la suspension administrative doit, en principe, être imposée avec solde, sauf disposition contraire prévue par une convention collective ou un contrat de travail.
Dans l’arrêt Cabiakman c. Industrielle-Alliance (C.S.C., 2004), la Cour suprême a précisé les conditions de validité d’une suspension administrative : il doit exister un lien entre la nature des allégations et les fonctions de l’employé, la mesure doit être nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l’organisation, il doit être impossible de réaffecter l’employé ailleurs, et la suspension doit demeurer raisonnable et limitée dans le temps. La jurisprudence insiste également sur la nécessité d’agir avec diligence et de mener une enquête sérieuse et rapide.
Une suspension prolongée, indéterminée ou utilisée à d’autres fins peut être contestée comme abusive, voire assimilée à un congédiement déguisé. Il importe donc que toute suspension administrative soit justifiée, proportionnée et limitée au strict minimum nécessaire. Même si elle n’a pas de caractère punitif, l’employeur doit respecter une équité procédurale minimale en informant l’employé des motifs et en lui donnant l’occasion d’être entendu. Enfin, cette mesure peut être contestée, notamment devant un arbitre de grief en milieu syndiqué ou devant le Tribunal administratif du travail lorsqu’elle est jugée abusive.
La suspension et la révocation par un bureau coordonnateur
Les pouvoirs de suspension et de révocation exercés par un BC à l’égard d’une responsable d’un service de garde éducatif en milieu familial (RSGE) relèvent d’un régime entièrement distinct. Ils ne reposent pas sur la notion de faute, mais sur la conformité aux conditions prévues par la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance et son règlement d’application.
Ainsi, l’article 75 du Règlement sur les services de garde éducatifs à l’enfance prévoit que le BC peut refuser de renouveler, suspendre ou révoquer une reconnaissance lorsqu’une RSGE ne respecte plus les conditions ou modalités prévues, menace la santé, la sécurité ou le bien-être des enfants, commet une fausse déclaration, néglige de corriger une contravention constatée ou ne peut établir l’absence d’empêchement exigée par la Loi. Le BC peut également assortir la suspension de conditions et de délais à respecter pour que la reconnaissance soit rétablie.
L’article 77.1 du même règlement précise par ailleurs que le BC doit suspendre immédiatement la reconnaissance dans certaines circonstances, notamment lorsqu’une personne liée au service est mise en cause par un signalement retenu par la DPJ, lorsqu’une enquête ministérielle est en cours en raison de faits graves, ou lorsqu’une plainte recevable soulève des préoccupations sérieuses de santé, de sécurité ou de bien-être pour les enfants. Dans ces cas, la suspension demeure en vigueur jusqu’à la décision finale du BC sur la situation reprochée.
Ces décisions ne visent pas à punir la RSGE, mais à assurer la conformité au cadre légal et réglementaire, à protéger les enfants et à maintenir l’intégrité du réseau. Elles relèvent d’un pouvoir strictement administratif et sont encadrées par des règles de droit public.
Distinction essentielle
La distinction entre ces régimes est fondamentale. La suspension disciplinaire dans un CPE est une sanction punitive, généralement sans solde, qui découle d’une faute. La suspension administrative en CPE est une mesure préventive, en principe avec solde, utilisée dans l’attente d’un éclaircissement et qui ne repose pas sur la notion de faute. Quant aux pouvoirs de suspension et de révocation d’un BC, ils sont purement administratifs et découlent directement des exigences légales et réglementaires applicables aux RSGE, sans aucune connotation disciplinaire.
En résumé, seule la suspension disciplinaire a un caractère punitif. Les autres formes de suspension, quant à elles, poursuivent des objectifs de prévention et de protection et non de sanction.